À moins d’un an de la présidentielle française, la menace terroriste sur la communauté
homosexuelle s’invitera-t-elle dans la campagne électorale ? C’est la question que s’est posée La Lettre de l’Opinion dans son numéro de juillet, un mois après l’attentat d’Orlando. Selon le mensuel, le temps des petits calculs serait venu dans les couloirs du FN. Alors que les gays seraient plus sensibles aux idées lepénistes que les hétéros, le crime sera-t-il profitable à Marine Le Pen ?
Par Grégory Ardois-Remaud
La question s’est posée. Rarement de façon claire, toujours insidieuse, à mi-mots, chuchotés. Fallait-il annuler la Marche des Fiertés parisienne, qui allait avoir lieu à peine un mois après ce que chaque homo a vécu comme un traumatisme ? Fallait-il céder à la peur, à nouveau se cacher, régresser et céder ? La réponse des organisateurs a été formidable, et que dire de cette immense foule présente en ce samedi 2 juillet, de ces nombreux sourires, de ces mots de soutien : « Ne lâchez rien ! », « Bravo, continuez ! », « On vous aime » ? Parfois, les larmes pouvaient monter, mais la peur était, elle, tapie au sol!
Oui, mais la peur est une connasse et elle n’est jamais loin. Elle se mue, elle fait semblant de partir pour mieux revenir. Et elle attend le printemps 2017 pour mieux répandre son venin glaçant. Ses alliés ne manquent pas. Elle est même le prestataire préféré du Front national.
Une plus forte progression du FN chez l’électorat LGBT
Au 165 de la rue Jeanne d’Arc (siège du parti), les stratégies se déploient et Marine Le Pen semble entendre des voix couleur rainbow. Il faut dire que la réalité et les prévisions des spécialistes ne sont pas là pour la contredire. S’il est encore trop tôt pour connaître l’effet Orlando, selon François Kraus, directeur des études au Pôle Politique de l’IFOP, le risque est grand que la tuerie du Pulse exacerbe un sentiment anti-musulman chez les minorités sexuelles, d’autant plus aisément qu’elles se montrent, depuis plusieurs années, de plus en plus sensibles au discours sécuritaire et anti-immigration du Front national.

Les chiffres présentés par l’édito de La Lettre de l’Opinion sont glaçants : en effet, une étude réalisée en 2013 par l’IFOP auprès de l’ensemble de la population homo ou bisexuelle montre non seulement que la proportion d’électeurs exprimant leur proximité avec le FN y était, non seulement, plus forte (16 %) que chez les hétérosexuels (13 %) mais que le mouvement lepéniste y bénéficiait aussi d’une évolution plus importante (+ 7 points entre mars 2011 et octobre 2013) que dans le reste de l’électorat (+ 4 points durant la même période). Tout sondage est discutable, mais les faits le sont moins.
« Homonationalisme » et « Pinkwashing »
La droitisation du milieu gay depuis quelques années se mue en homonationalisme. Un phénomène observé dans de nombreux pays occidentaux consistant en une récupération par les partis de droite radicale d’un discours défendant les droits des homosexuels pour stigmatiser les musulmans.
Un des exemples les plus criants est le PVV, le FN made in Pays Bas, où Geert Wilders, son leader, brandit les droits des LGBT comme des acquis fondamentaux menacés par l’Islam. Le tour de passe-passe est plutôt habile : jouer la psychose, multiplier les raccourcis, les contre-sens, pointer le discours vers un ennemi construit par l’ignorance.

La France n’est pas en reste. Le FN tâtonne sur ce point pour le moment. Pas sûr qu’ils hésitent encore longtemps quand on sait que le public LGBT est estimé à environ 6,5% de l’électorat, alors que les catholiques radicaux sont estimés, eux, à 4,5%. Les feux sont donc au vert chez les Le Pen and Co ! Et les premiers essais dans le sens de cette stratégie arrivent. Que dire de cette tentative d’avril dernier, quand Marine Le Pen déclarait « Il ne fait pas bon être homosexuel dans certains quartiers » ? Mettre les gens dos-à-dos, c’est tellement classe…
Au siège, on est passé en mode pinkwashing. Après un petit coup de Kärcher sur la façade, on a décidé de tout repeindre en rose, à la sauce tolérance et ouverture d’esprit. L’arrivée de personnalités ouvertement homosexuelles comme Sébastien Chenu (fondateur de GayLib) est un indicateur. De là à dire que le FN devient gay friendly et que ce n’est pas une stratégie de communication, il n’y a qu’un pas qu’il ne serait pas prudent de franchir.
Les questions de société ou comment faire oublier la faiblesse du programme économique
De la même façon que l’assassinat de Henriette Reker, candidate à la mairie de Cologne en janvier dernier, avait relancé la lutte contre le sexisme, Orlando pourrait devenir l’occasion calculée pour le FN de placer la lutte contre l’homophobie au cœur de sa campagne (attention aux casseroles qui traînent quand même !) et de dénoncer les menaces que font peser l’Islam et ses adeptes sur le mode de vie des Français.

Alors que le parti peine à convaincre côté économie, la mise en avant des clivages de la société serait beaucoup plus porteuse. Le succès électoral du parti va aussi se jouer sur la possibilité que le scrutin se noue autour d’enjeux de société, leur permettant de chasser sur les terres d’une gauche, qui a longtemps été hégémonique sur ces thématiques.
La peur embauchée par le FN risque donc de s’associer aux mensonges, aux raccourcis, aux insinuations pour voir gagner son employeur préféré. Et ce n’est pas les différentes attaques partout dans le monde qui changeront les choses. Soyons lucides, prudents et sur nos gardes. La menace de l’entourloupe n’a jamais été aussi prégnante et l’ennemi n’est pas forcément celui qu’on croit…